L'édda poétique (régis boyer)

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les dieux suprêmes, « re-nés », prisent plus que la bière miellée ou la chair inépuisable du sanglier de la Valhöll.

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la trompette fatidique de Heimdallr qui annonce la fin des temps : nul ne saurait se soustraire aux arrêts des Nornes. Les dieux eux-mêmes sont soumis à leurs lois.

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Ódinn, le maître de la sagesse et de la science ésotérique, le père des runes et de la poésie, sait qu’il périra, et de quelle façon ; Thórr n’ignore pas que le venin du grand serpent de Midgardr le détruira.

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L’esprit de la lutte (víghugr) víga-hugr, m. a ‘war-mood,’ a murderous mood, = víghugr.

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Le culte populaire chrétien des trois Marie,

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Ces divinités fatidiques et tutélaires non seulement façonnaient le destin de l’homme qui venait de naître mais encore, mais surtout insufflaient en lui une sorte d’énergie vitale, une sorte de puissance propre qui serait désormais sa marque individuelle inaliénable, la coloration originale de sa personnalité. Cela s’appelait máttr: puissance, force interne, littéralement : mesure de ce dont on est capable, et megin : aptitude à pouvoir et précisément capacité de chance.

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l’individu devenait fridsœll, apte à posséder la paix, et sigrsœll, capable de remporter la victoire.

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ces concepts s’appelaient gœfa ou gifta — termes dérivant tous deux du verbe gefa: donner, et signifiant par conséquent « ce qui m’a été donné » —, mots qui traduisent tous deux notre idée de chance,

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accès au noumène, il n’était pas écrasé par un fatum inexorable et méchant, il lui était donné d’y participer.

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Sans aucun doute est-ce là le fondement de son orgueil, de son sens intransigeant de l’honneur, de son ambition, de son mépris des faibles: il était habité. Il n’avait pas connaissance, bien entendu, mais conscience de son destin, ou, plus exactement, il savait qu’il n’était pas seul.

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Mais une épiphanie du Destin, non une théophanie. L’extrême abondance des tournures impersonnelles dans le germanique ancien et dans la langue norroise témoigne de cette omniprésence. On ne dit pas : il eut un enfant, mais honum vard barn audit, il lui fut donné, échu d’avoir un enfant;

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Car nous voici ramenés au fatalisme que nous cherchions à éviter. Si tout est ainsi écrit, voulu d’avance, à quoi bon lutter? 

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Le Germain n’a pas choisi d’être tel qu’il est. Mais il lui appartient : 1) de connaître ce qu’il est, 2) de l’accepter sans barguigner, 3) de l’assumer.

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Notion grandiose, d’un caractère tragique évident. Ce qui fait la grandeur de l’homme, ce n’est pas une révolte, romantique et vaine, contre le sort : c’est de s’en faire l’artisan volontaire, lucide, conscient.

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Si l’homme assume sa gœfa, le voici gœfumadr, cela se sent, cela se sait, c’est un chef, il vaincra. S’il la refuse, c’est une épave, consciente de l’être en général.

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Ensuite, la politique de la force et l’exaltation excessive de la volonté qui, nous en avons fait naguère encore la triste expérience, sont les éternelles tentations germaniques. Mais, ces réserves nécessaires faites, les valeurs d’énergie, de dynamisme et de courage que suppose une telle vision de la vie sont éclatantes.

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ici, la fin justifie les moyens tout comme, trop souvent, la force prime le droit.

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mais il faut tout de même mettre en garde, en passant, contre les excès d’un certain wagnérisme qui passe rapidement de Bayreuth à Nuremberg. Sur ce point, les sagas islandaises sont suffisamment éloquentes, quand bien même nous aurions la certitude qu’elles ont été écrites en plein XIIIe siècle, trois cents ans après la conversion de l’île. L’héroïsme, c’est d’avoir atteint son but, par tous les moyens, quels qu’ils soient, malgré toutes les épreuves, en dépit de tout code civique ou religieux si c’est nécessaire.

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l’on est seul juge, en dernière instance, des motifs et de la valeur de ses actes,

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gnomiques

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On ne peut vivre dans la honte, disent les Eddas.

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l’étrange poème qui s’intitule Lokasenna (Sarcasmes de Loki), poème composite à souhait, décadent à plus d’un titre mais singulièrement révélateur. 


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Mais il importe de comprendre que le marteau de Thórr tout comme ses gants ou sa ceinture de force sont autant de figures symboliques de sa máttr ok megin.

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On pourrait dire que la honte, c’est d’abord de manquer de fidélité à soi-même, c’est-à-dire à ce que le Destin a déposé en nous.

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Il existait chez les anciens Scandinaves un curieux jeu : le mannjafnadr. Cela se pratiquait à deux, chacun se choisissant un champion, vivant ou mort, parmi les héros ou les personnalités en renom, chacun s’efforçant de démontrer la supériorité évidente de son propre champion sur l’autre. Dans pratiquement tous les cas que nous connaissons de ce divertissement sans innocence, la conclusion était un meurtre, celui qui ne parvenait pas à imposer le bien-fondé de son choix se tirant d’affaire par un bon coup de hache. C’est qu’il n’était pas possible de ne pas avoir raison. Encore moins de le reconnaître publiquement. 

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Remarquons-le bien : tous les poèmes héroïques que nous allons lire sont des récits de vengeances;

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le perdant paie sa défaite de sa vie. Battu, il a perdu sa raison de vivre, et, pour reprendre une idée que nous avons déjà lancée, il est désacralisé. Væ victis ! Qu’il se venge, il retrouve intact en lui ce qui faisait sa valeur, le rendait unique et exceptionnel. Il a restauré le sacré en lui.

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Voilà pourquoi, paradoxalement mais seulement en apparence, la vie humaine a tant et si peu de prix. Elle a tant de prix parce qu’elle ne s’appartient pas à elle-même : le Destin en dispose au sens exact de ce dernier verbe, il l’a arrangée pour qu’elle témoigne de lui. C’est ainsi et non autrement qu’il faut parler de l’individualisme germanique, foncièrement irréductible au nôtre. L’homme a droit au respect parce qu’il est hanté. Il va. C’est une force qui marche. S’il s’est arrêté, il a failli. On ne torturait pas chez les anciens Germains : cette dérision n’avait rien à voir avec l’attention passionnée que l’on apportait à la force de vie (livskraft, disent encore les Suédois) déposée en un être ; quand la pratique est mentionnée dans nos textes, nous pouvons être certains qu’il s’agit de contaminations récentes. 

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C’est la vie qui est meilleure que tout, répètent inlassablement les Hávamál, celui qui boite peut encore garder les vaches, l’aveugle sait se servir de ses bras, « au vivant la vache ».

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Faut-il répéter une fois encore qu’il n’y a pas à contester les arrêts du Destin, mais à les accepter et à les accomplir volontairement?

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De vengeance en vengeance, ils vont : leur mort est au bout et ils le savent

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Tant que l’on n’a pas vu que la grandeur, sauvage et barbare à souhait, certes, mais incontestable, de ce monde est dans son dynamisme, dans cette marche forcenée

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Mais que l’on n’aille pas évoquer le Sisyphe de Camus. Ce n’est pas en désespoir de cause que l’on se bat, ici. C’est par fidélité et, plus justement, par re-connaissance envers le sacré.

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Ragnar meurt en riant, comme Gunnarr en jouant de la harpe, par un réflexe d’orgueil qui est en même temps un dernier acte d’adoration. Ils sont allés jusqu’au bout. Au-delà, cela n’eût pas été possible. Ils ont accompli à la perfection ce qu’il y avait en eux de sacré. Leur rire ou leur chant, c’est un hymne ultime et suprême. 

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"Ce que j’ai fait, aucune bête ne l’aurait fait". 

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En un sens, on peut même dire que tous les codes juridiques germaniques que nous avons conservés s’efforcent de limiter au maximum l’exercice de la vengeance sanglante, par le jeu des compensations — le wehrgeld des arbitrages et des bannissements.

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En revanche, on peut affirmer que se venger est un droit sacré.

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la belle coutume du fœra höfud sitt : l’incriminé « remettait sa tête » à qui l’accusait, littéralement en venant poser sa tête sur les genoux de celui-ci. Dans ce cas, la règle était que celui auquel on faisait un tel honneur fit preuve de magnanimité, généralement en rendant sa liberté à l’autre — mais on ne voit jamais personne s’élever contre les entreprises de quiconque cherche à se venger.

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qu’en cas de litige trois voies sont toujours offertes au plaignant : hefnd, sœtt, sókn, vengeance, conciliation, poursuites légales. 

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une bonne lance incrustée de signes magiques

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tu me tues un intendant, je te tue un beau-frère, tu répliques en mutilant mon neveu, je réponds en assassinant ton cousin.

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Tacite disait, à sa manière, que les Germains ne se complaisent que dans la guerre,

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