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χαίρετε δαίμονες !
Listen Columbo
What would you do
If a vicious enemy suddenly started coming at you
Armed to the teeth and ready to kill you?
Contre la bienveillance (Yves Michaud)
Les identités sont toujours des conventions, des constructions et des fictions.
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trois points clés de l’empirisme
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Le premier est que rien de ce qui est imaginable n’est impossible.
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Le second principe est qu’on n’a jamais observé et n’observera jamais de connexion causale. Il y a bien des causes, mais elles n’impliquent pas leurs effets et les justifient encore moins : elles se bornent à les produire – quand encore elles les produisent, ce qui n’est même pas toujours le cas ! – dans l’intrication des réseaux de conditions nécessaires et suffisantes de toutes sortes. Il faut donc se méfier des histoires causales qui croient expliquer en remontant en arrière : l’important est d’abord de décrire correctement.
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Le troisième principe, le plus important, est qu’il y a une différence absolue entre penser et sentir, entre concevoir quelque chose et le vivre. Nous en faisons l’expérience proprement sidérée quand arrive pour de bon la catastrophe dont nous avions pourtant envisagé tous les détails. Nous avions prévu le pire, mais quand il advient, il est encore pire que tout ce que nous avions imaginé : il est réel.
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Cette différence radicale entre ce que nous pensons et ce que nous vivons une fois que nous l’avons pour de bon vécu, avec les conséquences que cette expérience a en retour sur notre pensée « une fois que nous l’avons faite », est capitale quand nous avons, comme aujourd’hui, à vivre des changements auxquels nous avions pensé et réfléchi, mais sur le mode pour ainsi dire suspendu de la pensée pure et avec de vieilles catégories.
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Qu’on m’entende bien : je ne soutiens pas que la bienveillance est un sentiment indigne qui devrait être exclu de nos affections. Je dis seulement que c’est un sentiment caractéristique des relations en face-à-face ou de proximité, qui facilite et accroît la sociabilité mais ne constitue en aucun cas la base de la relation au sein d’une communauté politique.
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De manière générale, s’il y a une inspiration qui anime ces réflexions, c’est celle des Lumières radicales du xviiie siècle, celles de Condorcet, de Diderot, d’Holbach, d’Helvétius et de Volney. Ce sont ces idées, reprises et organisées dans la constitution révolutionnaire de 1793, qui ont conduit à la Déclaration des droits de l’homme, à l’abolition du féodalisme, à l’éducation élémentaire obligatoire, à l’impôt progressif, à la destruction de la monarchie et de la théocratie, à l’abolition de l’esclavage, à la reconnaissance des minorités religieuses sous condition du respect de la loi républicaine.
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Les appartenances religieuses doivent donc être renvoyées strictement à la liberté de conscience avec une obligation absolue de tolérance. Cette dernière expression doit être entendue avec toute sa force : la tolérance ne peut pas être envisagée comme elle-même une tolérance, une sorte de bienveillance civile envers autrui. Non, elle est un impératif commandé par la loi et sanctionné comme tel.
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En d’autres termes, une conception de la communauté contractuelle robuste laisse une place au communautarisme mais uniquement au sens faible de reconnaissance de la diversité, en l’excluant en revanche catégoriquement au sens où il entraînerait des droits et des devoirs différents pour les citoyens en fonction de leurs origines culturelles, religieuses, ethniques ou idéologiques.
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L’essayiste anglais Horace Walpole imagina au xviiie siècle le pays de Serendip, dont les habitants ont la chance de tout trouver sans l’avoir cherché. La construction européenne depuis la fin des années 1990, c’est le pays de Serendip : on y prend des décisions dont on ne prévoit pas les résultats et dont on gère ensuite des effets qu’on n’avait pas recherchés.
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Qu’est-ce que la Realpolitik ? L’expression date du milieu du xixe siècle. Elle fut introduite alors par un libéral, Ludwig von Rochau, qui publia en 1853 un livre intitulé Principes de la Realpolitik appliquée à la présente situation allemande (Grundsätze der Realpolitik, angewendet auf die staatlichen Zustände Deutschlands).
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Après l’échec des révolutions de 1848, révolutions inspirées par des principes justes mais finalement détournées de leur sens ou anéanties par la répression, il fallait s’interroger sur la relation entre éthique des causes justes et réalisations effectives et découvrir le réalisme : « L’étude des forces qui donnent forme à l’État, le maintiennent et l’altèrent est la base de toute perception politique et mène à comprendre que la loi de la force gouverne le monde des États comme la loi de la gravitation gouverne le monde physique. »
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L’erreur des libéraux (au sens du xixe, il vaut mieux le préciser !) fut de croire que la force s’effondrerait uniquement parce qu’elle était injuste.
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La Realpolitik s’oppose à l’idéalisme. Elle va d’une appréhension lucide des rapports de force au cynisme assumé.
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L’idéalisme oscille, lui, entre une version modérée envisageant une politique internationale dont les acteurs étatiques visent à constituer une « société des nations » – dans la lignée de Grotius, pour mettre un nom sur cette représentation – et un idéalisme messianique envisageant un monde cosmopolitique où ce ne sont pas les États qui ont le rôle principal mais l’humanité tout entière – dans la lignée, cette fois, de Kant.
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Le débat entre réalisme et idéalisme a traditionnellement opposé les machiavéliens partisans de la raison d’État aux avocats du droit international et de la « loi des nations ». Il se complique avec l’apparition, à la fin du xviiie siècle, de la vision cosmopolitique qui peut prendre une forme théorique comme chez Kant, ou celle du messianisme révolutionnaire – celui des guerres de libération sans frontières (« le genre humain », « les damnés de la terre »), des guerres justes ou de l’ingérence humanitaire. Il se complique encore après les abominations des deux guerres mondiales du xxe siècle auxquelles répondent projets pacifistes et humanitaires, institutions internationales comme la Société des Nations, puis les Nations unies, et tribunaux jugeant les crimes contre l’humanité au nom des droits universels de l’homme.
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Le débat mêle inextricablement questions d’ordre nomologique et déontologique – doit-on se comporter réalistement ou idéalistement en politique et notamment en politique internationale ? – et questions de description et de fait – le réalisme ou l’idéalisme décrivent-ils adéquatement ce qui se passe et les conséquences de ce qui se passe ?
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L’idéalisme cosmopolitique flotte aussi au-dessus de la réalité en refusant de voir que ses interventions ont plutôt tendance à enkyster les crises en installant les populations déplacées dans des situations de « réfugiés perpétuels » sur le mode des Palestiniens, des Sahraouis, des réfugiés du Darfour et du Soudan.
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Il plane encore au-dessus de la réalité en refusant de voir que l’action humanitaire est le plus souvent détournée, qu’elle contribue à la naissance d’économies parallèles qui bouleversent le fonctionnement économique normal, qu’elle devient presque toujours un business fructueux, infiltré par les mafias et les escrocs prestataires de services – sans oublier qu’elle devient souvent aussi partie prenante dans les conflits selon les camps soutenus. Pour le coup, on doit parler d’un idéalisme de l’idéalisme cosmopolitique.
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De nombreuses questions, dans les domaines économique et social mais plus encore dans ceux qui touchent à la morale et à la religion, ne peuvent pas être unifiées. Et ce ne sont pas les juristes qui peuvent trancher des différends qui tiennent à des différences culturelles profondes, concernant, par exemple, le statut des femmes, l’appartenance religieuse ou l’adoption de la démocratie. L’universalisation des normes juridiques bute sur les divergences fondamentales en matière de valeurs.
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Pour marquer leur différence, les pays islamiques ont adopté en août 1990 une Déclaration universelle des droits de l’homme islamique fondée sur la charia, dont la lecture est recommandée tant elle est édifiante.
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La politique idéaliste semble réussir dans l’immédiat de l’action « urgente », mais les effets à plus long terme sont en général catastrophiques : conflits figés, missions d’interposition de l’ONU à durée indéfinie, camps de réfugiés devenant des villes, création d’économies parallèles artificielles, chaos politiques durables.
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L’idéalisme politique méconnaît en fait les grandes déterminations de l’histoire.
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À commencer par le poids des organisations traditionnelles (tribus, clans, ethnies) qui ne s’accordent pas facilement avec les usages démocratiques. Il ne comprend pas que les partis, au sens qu’ils ont dans la vision moderne de la vie politique, restent en réalité marqués en bien des régions par des pesanteurs qui parasitent la vie démocratique (partis à bases ethniques, ou tribales, ou régionales). Il ne comprend pas la force des traditions de clientélisme qu’il voit comme de la corruption. Il ne comprend pas la diversité des relations à la fiscalité, souvent imposée de manière récente et vécue comme inquisitoriale et émanant de l’oppresseur. L’illusion wilsonienne ou « à la Carter » d’un progrès universel de la démocratie a presque toujours et partout échoué face à ces déterminations historiques lourdes et profondes.
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L’idéalisme politique méconnaît aussi totalement la force des religions et des croyances sauf quand, comble d’absurdité, il s’en fait l’avocat au nom de la défense des différences et des bienfaits du pluralisme.
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Ces critiques reviennent toutes à montrer la nécessité d’une approche empirique et réaliste des problèmes (...) guidée par les diagnostics des experts. La connaissance des terrains, des cultures et des histoires est indispensable
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Il faut redécouvrir les vérités de base de la Realpolitik – c’est-à-dire les rapports de force, les inerties et traditions, la recherche par les États et les organisations non étatiques de ce qui fait avancer leur intérêt.
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fin de l’angélisme, retour du réalisme, conscience lucide qu’on ne fait pas de la politique internationale avec des crédits et des missions humanitaires, que les alliances sans garantie militaire ne comptent pas, que les migrations peuvent devenir des armes de guerre, qu’on ne fait pas de politique internationale avec de bons sentiments.
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On peut toujours étrangler économiquement la Russie de Poutine, mais que ferait-on le jour où cette Russie envahirait l’Estonie, la Lituanie ou la Pologne ?
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Comment gérer la participation à l’Europe de pays comme la Bulgarie et la Roumanie qui ne luttent guère contre la corruption et sont en grande partie aux mains des mafias ?
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Contre la vision morale du monde, contre la bienveillance politique
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Cet aveuglement se teinte chaque fois d’un préjugé de bienveillance : on veut croire en un monde où toutes les idées sont respectables, où toutes les différences enrichissent, où les conflits ne sont jamais irréductibles, où les bonnes volontés finissent toujours par s’entendre.
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Même les pires voyous se drapent aujourd’hui dans la bienveillance et l’amour du prochain.
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L’autre noyau est sentimental. C’est celui de la bienveillance : il faut soigner, prendre soin, avoir de la sympathie.
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Il faudrait que le monde fût sans blessure – et comme ce n’est pas le cas, la bienveillance trouve dans la vulnérabilité un universel qualifiant toute existence – ce que les penseurs du Moyen Âge appelaient un transcendantal, un prédicat qualifiant tous les êtres absolument.
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Il est difficile d’être plus perspicace ni plus dévastateur que Hegel dans son exposé et sa critique de « la vision morale du monde»
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la vision morale du monde ne doit en aucun cas tenir lieu de politique : elle peut, éventuellement, combler l’âme des êtres sensibles, elle n’a que des relations légères et volatiles avec la réalité.
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Dans le meilleur des cas, elle exprime la vie rêveuse. Dans le pire, la vie hypocrite.
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des philosophies de la bienveillance, de la sollicitude et de la vulnérabilité que l’on regroupe sous le terme anglo-américain générique de care qui veut dire exactement la même chose, c’est-à-dire… soin, sollicitude et bienveillance.
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La première approche d’une éthique de la bienveillance remonte aux années 1980 quand la philosophe américaine Carol Gilligan, examinant les théories du développement moral, remarqua que ce qui est considéré comme la moindre maturité des femmes quand il s’agit d’émettre des jugements autonomes marqués par l’universalité en matière de situation morale correspond en fait à une autre approche morale : là où les hommes cherchent une position décentrée et objective, les femmes tiennent compte d’abord de l’importance des responsabilités et du maintien des relations plutôt que du respect des droits. Elles font donc entendre en morale une « voix autre », attentives qu’elles sont à la dépendance et à la vulnérabilité des êtres puisqu’elles sont depuis longtemps ces personnes « invisibles » préposées au care, au soin des petits enfants, des malades, des handicapés, des vieillards, des mourants, dans la plupart des sociétés, y compris les nôtres où ces tâches de soins ont pris la forme marchande de « services à la personne » – dont sont la plupart du temps chargées des femmes. La morale du soin insiste donc sur les situations, les relations, l’attention aux autres. Ce qui la conduit à reconnaître la place centrale de la dépendance et de la vulnérabilité, à la différence des théories morales qui insistent sur la volonté d’un individu autonome.
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Toutefois, une description de la situation humaine comme fondamentalement dépendante et vulnérable ne peut échapper à l’examen critique.
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La morale du soin élargit en effet vertigineusement le champ des notions de dépendance et de vulnérabilité, en en donnant, qui plus est, une description forcée.
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Quand les théoriciennes du soin assimilent la dépendance du nouveau-né, du malade, du patron envers sa secrétaire et du marchand envers son fournisseur, elles universalisent à toute force le concept de dépendance aux dépens des complexités de la réalité.
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Il y a, au contraire, dans les morales du soin un effort de dé-différenciation des faits qui est déjà préoccupant car il introduit confusion et ambiguïté là où on les avait en partie neutralisées. Cet effort devient encore plus préoccupant quand on voit que la confusion est étendue à la notion de vulnérabilité, qui devient la clé de voûte des devoirs de sollicitude compassionnelle.
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Que les êtres soient non permanents, transitoires, fragiles, ne signifie pas qu’ils sont vulnérables et encore moins que toute transformation est une agression et une blessure.
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Ici, la finitude des êtres, des phénomènes et du monde lui-même se voit rebaptisée du nom de vulnérabilité, qui n’est pas plus « innocent » que celui de finitude, et dont l’infini de référence n’est plus théologique mais une improbable santé – et donc une très curieuse vision de la vie comme sacrée, éternelle et attribuable à tous les êtres. En d’autres termes, on peut soupçonner que, sous le terme de vulnérabilité, fait retour une théologie non pas du divin mais de la vie – avec un oubli paradoxal de la mort.
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En ce sens déjà, les morales du soin expriment les aveuglements de la vision morale du monde : il faudrait que le monde fût sans drame, sans mort, sans destruction – on le reconnaît vulnérable pour mieux s’aveugler face à la réalité de la mort et en y ajoutant l’illusion de pouvoir soigner toutes les blessures.
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Les morales du soin dissimulent la finitude sous l’obsession de la réparation.
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Elles généralisent en même temps la plainte : nous sommes tous vulnérables, tous menacés, tous méprisés – tous blessés.
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La correction ambiante veut que les morales du soin, eu égard à leurs si bonnes intentions, échappent à la critique. Il n’est pas interdit quand même de se demander si, quand elles extrapolent leurs concepts de dépendance et de vulnérabilité, elles n’expriment pas tout bêtement la réalité d’un monde de dépendance et de vulnérabilité qui passe son temps à remédier à son triste sort en réclamant assistance et services.
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Les morales du soin, avec leur ontologie de la vulnérabilité, font en réalité chorus avec la vision morale du monde.
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Ce ne serait pas si grave puisque, après tout, la plupart des morales ne servent pas à grand-chose. Ce qui est grave, en revanche, c’est d’en faire une politique.
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Or toute la théorie morale du soin dérive vers la politique. L’hypertrophie de la notion de dépendance mène en effet directement à considérer les questions de pouvoir et l’inflation de la notion de vulnérabilité conduit à poser la question des politiques d’assistance aux individus dans le Commonwealth ou la Res publica.
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Joan Tronto identifie trois « frontières morales » qui fausseraient notre vision : la distinction entre morale et politique, celle entre relations personnelles et ordre public, et, enfin, la frontière entre sphère publique et sphère privée. Deux de ces prétendues frontières morales méritent un examen particulier.
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La création d’un espace politique commun, d’un Commonwealth ou d’une Res publica implique, en effet, que chacun renonce à certaines de ses différences.
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Les théories du contrat social sont, chacune, des variations sur le thème du partage et du renoncement. L’importation de la morale du soin dans l’espace politique n’est pas par principe interdite, mais elle comporte le risque d’affaiblir ce qui est commun et même de le faire purement et simplement disparaître.
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Cela revient en effet à soutenir qu’une morale et une politique du soin doivent prévaloir sur une morale et une politique de la justice. Un pseudo-radicalisme du soin devient une alternative à la justice sociale – une justice dont on peut se demander, soit dit en passant, jusqu’à quel point elle a jamais été mise en pratique jusqu’ici et où que ce soit…
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troisième frontière est aussi importante que la première, puisque Tronto n’entend rien de moins que remettre en cause la distinction entre public et privé.
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La justification qui en est donnée est aussi respectable que légère : cette distinction aurait servi essentiellement à confiner les femmes dans les activités de soin pratiquées dans l’espace privé. En voulant à tout prix libérer les femmes de l’espace privé invisible où elles seraient confinées, les théoriciennes du soin ne veulent surtout pas voir que la distinction public/ privé a été une conquête longue et difficile à réaliser afin d’établir la spécificité du domaine politique et le droit qui le régit. Le domaine politique est précisément celui de la chose publique et sa délimitation le protège des particularités de l’espace privé, tout comme elle protège ces particularités des empiétements du domaine politique. Les théoriciens contractualistes ont longuement travaillé à construire cette frontière qui, aujourd’hui, devrait être abattue – comme elle l’est d’ailleurs dans les faits en raison des technologies d’invasion et d’exhibition de la vie privée. Au nom donc de la richesse des expériences privées, on remet en cause la spécificité du domaine politique au moment même où l’on prétend le renouveler. Il se peut bien que le soin permette, dans une mesure à définir, de « repenser la coopération sociale, ses valeurs et ses institutions », mais si c’est au prix de la destruction des principes mêmes de la coopération sociale, le jeu n’en vaut pas la chandelle.
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Tout ceci est confirmé par les recommandations qui découlent de cette politisation du soin. C’est ainsi qu’Eva Feder Kittay, partant des situations de dépendance extrême, comme celle des handicaps lourds, estime qu’une morale du soin implique que soient réintégrées dans la communauté morale et politique des personnes considérées jusque-là comme des non-agents. Concrètement, cela signifie que des handicapés lourds doivent être comptés comme des personnes morales au sens de Kant et de Rawls. Ceci conduit Kittay à demander qu’on complète les deux principes de la justice de Rawls (premier principe : principe de la liberté égale pour tous ; second principe : principe de différence, c’est-à-dire d’acceptation des inégalités de ressources sous condition de contribution aux moins bien lotis) par un troisième prenant en compte la dépendance, une sorte de principe de responsabilité sociale comme quoi chacun devrait être pris en considération selon son besoin de soin et sa capacité à en dispenser. Rien n’est plus sympathique que ce sens extrême de la réciprocité et ce souci des « exclus » de la communauté qui n’ont pas les capacités d’agents, mais, si l’on y réfléchit juste un peu, ce troisième principe détruit le concept même de citoyenneté.
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Le rôle de l’État, qu’il soit social, providentiel ou libéral, est de veiller à ce que ces non-agents soient traités avec humanité, à ce qu’ils aient la vie le plus autonome possible compte tenu de leur fragilité, ce n’est pas de les mettre en capacité de citoyens – pouvoir que, de toute manière, l’État n’a pas. On voit bien, à travers le passage à la limite ultra-humanitaire de Kittay (qui réfléchit d’ailleurs à partir du cas de sa propre fille lourdement handicapée), en quoi la projection de la morale du soin dans la politique n’humanise pas la politique mais la dissout.
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Le propos des doctrines contractualistes, comme on l’a vu au premier chapitre, a été et reste de constituer une communauté solide à partir de citoyens, de faire une société qui tienne, une société robuste, pas d’abord et avant tout une société où toutes les particularités ont voix égale.
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Parler ainsi de pluralisme, de société civile dans sa pluralité, signifie introduire partout la singularité, les récits et les expériences, créer une « démocratie sensible », faire surgir ce qu’il y a de politique dans le privé, « défendre la thèse d’une non-séparation des sphères de vie ». Là est bien le problème.
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Que les sphères de vie ne sont pas séparées, chacun d’entre nous le sait pour le vivre. Maintenant, l’effort pour construire et mettre en ordre la vie sociale et politique suppose justement que l’on sépare les sphères de vie – que l’on n’importe pas la vie familiale dans le travail ni l’inverse, que l’on n’importe pas la croyance religieuse dans la vie politique ni l’inverse, que l’on ne mélange pas vie sexuelle et vie politique ni l’inverse, etc. Ce peut être vu comme une mutilation, mais c’est aussi la condition d’une mise en ordre et de la paix. Une vie n’est pas la fusion angélique de vies multiples ni leur coexistence chaotique dans le style DSK, mais leur harmonisation et cette harmonisation suppose des choix, des hiérarchisations, des préférences et des sacrifices. C’est l’homme contemporain, Narcisse et Fregoli à la fois, qui veut tout à la fois, mais tout avoir à la fois c’est aussi l’incohérence et la confusion – ou une galerie transformiste de métamorphoses. Le soin devenu théorie politique cherche à faire passer pour polyphonie cette confusion.
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La démocratie comme égalité de voix, la démocratie pluraliste, de par son concept même, ne risque pas de susciter beaucoup de commun. Il y a trop de différence entre les différences. En revanche, elle étale, exhibe et démultiplie les besoins à proportion qu’ils s’expriment. Non seulement la volonté du commun – la volonté générale de ces naïfs de contractualistes – devient gazeuse et vaporeuse et s’évapore comme la rosée au petit matin, mais les différences pluralistes prolifèrent et, cette fois, c’est l’égalité qui en fait les frais : « La vulnérabilité détruit le mythe selon lequel nous sommes des citoyens immédiatement égaux, rationnels et autonomes. Elle remet en cause l’ordre théorique qui fonde la possibilité d’un discours démocratique sur la politique10. » Il suffisait de le dire.
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La transformation de la morale du soin en politique du soin ramène la conception de la démocratie de l’idée de construction d’une communauté solide à celle d’une expression des différences et des souffrances.
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Elle la fait régresser de l’idée d’une construction assumée commandant l’adhésion à celle d’une organisation de réponses aux besoins. Elle la fait régresser de l’idée d’unité active à celle de pluralité passive. Elle la fait enfin régresser de la différenciation organisée à l’indifférenciation.
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Les morales/ politiques du soin opèrent une dissolution conceptuelle du champ politique parfaitement contradictoire avec tout l’effort de distinction et de catégorisation mené pour asseoir non seulement la spécificité de ce champ (si ce n’était qu’une affaire de concept, ça n’aurait pas trop d’importance !), mais aussi la spécificité des conduites qui peuvent ou ne peuvent pas y être menées. Il y a là une négation morale de la politique, qui entraîne avec elle tous les aveuglements à la réalité qui ont été dénoncés – une vision purement morale, et donc platonique, du monde, une célébration irresponsable des différences et du pluralisme, une incitation à la prolifération de groupes catégoriels et de communautés rongeant, « par en dessous » ou « par en bas », la communauté politique. Les morales/ politiques du soin en reviennent, sans que ce soit une surprise, à Filmer plutôt qu’à Locke12, à la patriarchie plutôt qu’à la démocratie, au gouvernement des familles, des pasteurs, des prêtres, des accompagnants, des coaches, des soignants, des badanti et des nounous, plutôt qu’à la souveraineté du peuple souverain dans lequel se sont unis des citoyens. En apparence, c’est un merveilleux progrès humain que ce déluge de bienveillance, de sollicitude, de soin, d’attention et d’égards en comparaison du froid Léviathan. Sauf que, lorsque toute cette bienveillance a pour effet qu’il n’y a même plus de Léviathan et que, pour paraphraser ironiquement Hegel, règne « la nuit où toutes les vaches souffrent », on a perdu jusqu’au monde dans lequel peut advenir la bienveillance. Il n’y a plus pour les belles âmes qu’à s’assurer en chœur de la pureté de leurs illusions.
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Si recommander la bienveillance, la sollicitude, l’attention, le soin – qu’on appelle le care comme on voudra – n’a rien de pendable quand on s’en tient à la morale avec ses limites, faire du soin le principe d’une politique entraîne une cascade de conséquences inacceptables.
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L’obsession de la bienveillance et du soin conduit à accepter toutes les différences, pour peu qu’elles invoquent les excuses de la vulnérabilité, de la souffrance, et de la minorité. Elle favorise donc les revendications communautaristes qui s’avancent masquées sous des dehors de plaintes.
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L’obsession de la bienveillance et du soin nous fait aborder avec compassion les plaintes, toutes les plaintes, et, en ce sens, valide et renforce toutes les revendications populistes les plus démagogiques – puisque ce sont chaque fois des victimes qui parlent et qu’il faut écouter : victimes du capitalisme, victimes de la mondialisation, victimes de la technologie, victimes de la concurrence, victimes de la classe politique, victimes de leurs échecs scolaires, et, finalement, victimes d’elles-mêmes. Dès lors que l’on parle de victimes, il y a aussi des agresseurs ; et comme ces agresseurs sont dissimulés par le fameux « système », non seulement la démagogie mais aussi le conspirationnisme peuvent se donner libre cours.
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L’obsession de la bienveillance et du soin, quand elle s’étend à l’ensemble du monde des êtres sensibles, à la planète tout entière, conduit en politique internationale à promouvoir partout les droits de l’homme, l’action humanitaire, les grands engagements idéalistes, qu’ils concernent la lutte contre les tyrannies, la défense des opprimés ou les combats écologiques. Bienveillance et vision morale du monde, dans tous les cas, nous font nous aveugler face à la réalité – face à la réalité de l’affrontement religieux, face à la réalité du populisme démagogique, face à la réalité d’un monde international où prévalent comme par le passé la force et les intérêts. Le paradoxe de cette souffrance, si complaisamment débusquée, n’est pas mince : elle engendre l’anesthésie à la réalité et l’aveuglement aux faits. La souffrance et son accompagnement, le dolorisme, servent une fois de plus de paravent à la réalité.
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Le mérite des événements récents aura été, est et, hélas, sera encore de nous ramener brutalement et mortellement au réel. Non, il y a des croyances insupportables et intolérables ! Non, le populisme n’est pas une illusion qui se dissipera d’elle-même ! Non, la politique internationale n’obéit pas aux chartes du droit international ni aux conférences pour la paix et encore moins aux actions humanitaires !
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Face aux réalités du multiculturalisme, il n’y a pas à emboîter le pas à ceux qui le célèbrent comme une richesse. Nous sommes effectivement dans un monde multiculturel et ce fait ne commande pas plus l’acquiescement que le rejet : il est là. Cela doit nous conduire, comme ce fut le cas pour les penseurs contractualistes, à réfléchir à quelles différences peuvent être acceptées au sein d’une communauté forte et quelles différences sont à proscrire.
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Face au défi populiste, il ne sert à rien d’agiter les épouvantails identitaires. Certes, les identités nationales, régionales, locales « existent », mais, soyons sérieux, elles existent d’une drôle de façon. Car elles sont toutes plus ou moins (et plutôt plus que moins) fictives et fabriquées. Qu’il s’agisse de l’identité des personnes, des groupes ou des choses, il n’y a pas de substantialité de l’identité. Toute identité est une construction et une fiction.
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Être français, c’est quoi aujourd’hui ? Sûrement pas être un patriote de 1914 partant pour Berlin, ni un Gaulois ethnique, ni un Gaulois chrétien, ni un Gaulois amateur de vin et de cochonnailles. C’est à la rigueur parler français (plus ou moins bien), être cocardier, adorer la bureaucratie, s’identifier à des clubs de football qui n’ont rien d’identitaire – et bricoler une identité fictive/ hystérique à partir de tous les traits qui viennent d’être énumérés, plus quelques autres ad libitum.
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En revanche, l’identité d’un citoyen français est, elle, bien définie : par une forme de constitution et de gouvernement, par la liberté de conscience et d’expression, par l’assistance d’un État-providence encore efficace. Il s’agit donc, ici encore, face au populisme, de reconstruire le commun, mais un commun de volonté et de choix, pas d’identité. De ce point de vue, il ne sert strictement à rien de promouvoir encore et toujours la diversité : celle-ci se porte très bien toute seule. Il
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Le seul remède aux fractures qui alimentent le populisme, c’est une politique de justice. S’il y a, ici, une pensée pertinente, bien qu’elle soit inexplicablement ignorée à droite comme à gauche, c’est celle de John Rawls dont La Théorie de la justice est plus d’actualité que jamais : principe de la plus grande liberté pour tous et principe de différence, c’est-à-dire acceptation des inégalités sous condition qu’elles bénéficient, par la répartition fiscale, aux plus démunis.
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Derrière les revendications populistes, il y a toujours le sentiment d’être victime d’injustices – mais ces injustices ressenties sont chaque fois si particulières qu’on ne peut faire de leur somme un ensemble cohérent. Il faut donc promouvoir un ordre juste répartissant équitablement contributions et rétributions.
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Il est temps de mener une politique internationale tenant compte des pesanteurs historiques, des temps longs de l’histoire, des intérêts des uns et des autres (y compris des siens propres), des rapports de force passés, présents ou qui se dessinent, en s’appuyant sur l’expertise des historiens, des diplomates, des démographes, des anthropologues de la culture. On aura remarqué que je n’ai mentionné ni les économistes, qui, dans leur variété française, ont déjà du mal à prédire ce qui est arrivé sans qu’ils s’en aperçoivent, ni les hommes d’affaires qui, toujours dans la variété française, sont soit d’anciens fonctionnaires, soit des prédateurs, et, en général, les deux.
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La violence des faits a ceci de bon qu’elle fait revenir sur terre. Mais revenir sur terre n’est pas renoncer au rêve ni à l’utopie. Le paradoxe de notre situation est que nous n’avons plus de capacité de rêve ni d’utopie car nous n’avons plus de vision. C’est cette capacité de vision en se projetant à partir des faits qui est à retrouver.
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Avec elle reviendra celle d’utopie et de rêve. Le 26 août 2015.
Appendices :
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La société politique est trop complexe pour être régie par la seule bienveillance et on ne peut fonder sur cette dernière que des actions morales.
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Les considérations de Butler sur la bienveillance dans ses fameux Sermons de 1726 portent sur les relations entre bienveillance et vertu, sans la moindre considération de l’État politique, et, ici encore, il s’agit de bien définir la part de la bienveillance dans les actions morales et de trouver l’équilibre entre elle et l’amour de soi.
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Il n’en va pas différemment chez Hume, qui étudie la bienveillance en même temps que les passions (livre II du Traité de la nature humaine de 1740) au titre des passions indirectes et en fait une « passion calme », qu’il distingue de l’amour et aussi de la sympathie, qui obéissent à d’autres mécanismes psychologiques.
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Ce n’est pas la bienveillance qui explique la justice, mais la combinaison de l’intérêt et de la convention. La justice est destinée à remédier à notre égoïsme et à notre cupidité dans un monde où les ressources sont limitées. La bienveillance de l’homme est réelle, mais elle est limitée et elle s’étend trop peu, confinée qu’elle est souvent à l’entourage immédiat ; il faut donc un système de règles de justice pour mettre de l’ordre dans ce désordre passionnel. Si la bienveillance avait une autre étendue et une autre force, et si le monde regorgeait de ressources, il n’y aurait pas besoin de justice. Les bases de l’organisation politique reposent donc plus sur la reconnaissance de la nécessité de la coopération que sur la bienveillance. La coopération est nécessaire dans une situation de rareté et entre des êtres égoïstes et cupides.
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On est donc, ici encore, loin d’une explication qui accorderait une place décisive à la bienveillance dans les affections humaines, et surtout qui en ferait un ressort politique.
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celle-ci « est un ornement qui rend la construction plus agréable, pas la fondation qu’il la fait tenir ; aussi est-il bon qu’elle soit recommandée, mais elle n’a pas à être imposée. En revanche, la justice est le pilier principal de tout le bâtiment
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Pour en revenir aux morales du soin/ care, il faut donc nettement marquer la différence : alors que celles-ci importent un émotivisme moral dans la théorie politique, les « sentimentalismes » du xviiie siècle se gardent bien d’en faire autant et reconnaissent au champ politique une spécificité particulière : la morale reste pour eux à part de la politique. A contrario, les théories du soin dissolvent la politique dans la morale.
Quoi faire de mon enu.....
"Salut, j'ai besoin de conseils pour mon Enutrof. Je joue dans une équipe de 4 au niveau 198. C'est assez méta, mais je m'amuse. Je joue un Cra multi crit, un Panda tank ou air damage, un Féca eau, et pour l'instant, un Enu feu soin.
Au début, je jouais un Enu retrait PM eau, mais avec l'arrivée du Panda, ce n'est pas très utile puisque je joue un Panda tank dans les combats compliqués, rendant le retrait PM presque inutile. Alors, je suis passé au soin feu. Mais je ne trouve pas ça très fort, et j'ai un peu de mal avec les combats de quête en solo...
Donc, je ne sais pas trop quoi choisir. Je pense que l'air pourrait être sympa, mais je ne suis pas sûr de sa viabilité en PvM (je ne fais pas de PvP). Il semble que la terre manque de portée pour bien jouer avec mon équipe, donc je ne sais pas trop quoi faire.
En fait, si je continue à jouer feu, j'ai peur de m'ennuyer et je risque de changer de classe.( D'aillieus si je change de classe l'enu, vous me conseillez de prendre quoi ? A part elio j'aime pas trop"
R.I.P Pivot (par Muray)
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Sa fausse bonasserie postillonnante, ses fous rires de pucelle,
ses yeux ronds de poisson des Alpes, sa jovialité de ballot du
Danube, ses extases d'épicier empâté, ses lunettes sur le front,
ses finasseries de fanfare municipale et ses pseudo-sévérités de
maître d'école ballonné de fleurs de rhétorique, le désignaient
pour être l'animateur idéal d'une longue cérémonie funèbre dont
il sut donner l'illusion, chaque vendredi que Dieu faisait, qu'elle
était une grande fête de l'esprit menée tambour battant par un
organisateur hors pair de noces et banquets.
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Certes, Pivot ne pouvait pas éternellement interviouwer Nabokov, Simenon, Soljénitsyne ou Dumézil, c'est-à-dire les derniers potentats encore survivants de l'ancienne époque historique de la littérature ou de la pensée, lesquels d'ailleurs ne se laissaient questionner que seuls, et en tête à tête. Il lui fallait créer une nouvelle peuplade d'individus plastiques, flexibles, éduqués, doués d'éclatantes capacités d'adaptation. Il fallait, par-dessus le marché, que ce nouveau petit monde docile, et qui n'avait rien connu d'autre, soit burlesquement convaincu de vivre un âge d'or de la télévision mise au service du livre. Il fallait que ces nouveaux troglodytes littéraires ne trouvent pas atroce d'avoir à résumer leurs ouvrages en trois mots, ne se révulsent pas à l'idée de perdre leur temps à lire les œuvres de leurs confrères puis à les déclarer ouvertement passionnantes, et, surtout, considèrent comme le couronnement notable de leurs efforts plumassiers de se retrouver placés à égalité avec six ou sept autres plumitifs, chose qui aurait été regardée comme un affreux châtiment par les écrivains de l'époque historique, chez qui l'activité littéraire était une forme de la lutte pour l'affirmation de soi-même, pour le prestige et pour la reconnaissance inégalitaire.
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Chaque vendredi, pendant d'innombrables années, et sous prétexte de confrontation, six ou sept auteurs se sont donc retrouvés en vrac et ravis, invités à une expérience de survie en tas, condamnés à remuer des mains et à parler et à hocher de la tête dans une étouffante promiscuité, et à se supporter comme des cochons d'Inde entre eux, comme des rats en cage ou comme des souris blanches de laboratoire, enfin comme des petites bêtes d'expérimentation, et à se montrer au meilleur de leur forme, sous leur meilleur profil. Cette exhibition de soi, où la lutte de tous contre tous se poursuivait aussi puisqu'il s'agissait pour chacun de frapper davantage que son voisin l'esprit d'un public réputé par essence oublieux et teigneux, aura non seulement constitué un remarquable théâtre de la servilité moderne, mais aura représenté également, à partir d'un matériau jugé noble (la littérature), une première expérience de télé-poubelle ; et il est piquant, sous cet éclairage, que tant de bons apôtres se soient récemment scandalisés de « Loft Story », dénonçant le voyeurisme ou la vulgarité de cette émission et prétendant qu'elle portait atteinte à la liberté ou à la dignité humaines, mais que les mêmes ou leurs semblables n'aient jamais trouvé qu'à se louer grandement d'« Apostrophes » ou de « Bouillon de culture », qui cependant portaient beaucoup plus mortellement atteinte à la dignité de la littérature, ne serait-ce qu'en rendant illisible son histoire passée (et les raisons très précises qu'elle avait eu de se développer de cette façon et pas d'une autre), et même éliminaient les livres présents puisque leurs auteurs se trouvaient par force, sous les injonctions du rubicond boucher en blouse, réduits à leur seule intimité, à leur moi plus ou moins souffrant, à leur manière de s'exprimer, à leur seule force de « conviction ».
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Et c'est aussi « Apostrophes » ou « Bouillon de culture » où l'on a vu se développer l'illusion que la télé dévoile la vérité, alors qu'elle ne peut dénicher que ce qu'il y a de banalité ou même de nullité chez chacun et chacune.
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« Apostrophes » comme à « Bouillon de culture », et malgré tout ce qui se raconte depuis tant d'années, on ne parlait même pas des livres, on s'en débarrassait.
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Un livre, et notamment un roman, à « Apostrophes » comme à « Bouillon de culture », n'était plus qu'un masque de l'auteur qu'il fallait lui arracher (le plus souvent avec sa complicité).
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Ce qui avait fait l'histoire véridique, la drôlerie et le charme du roman (prendre le réel pour un masque, pour une multitude de masques, et jouer avec, notamment en multipliant ces hypothèses que sont les personnages et en les entrecroisant), devenait dès lors incompréhensible.